Histoire d’une mauvaise réputation
Le premier souci de l’animal a toujours été de trouver de l’énergie ; autrement dit, de la nourriture. En la matière, les lipides sont rois (9 calories par gramme), bien plus intéressants que les glucides ou les protéines (4 calories par gramme). Mais pour l’humain, après 1945, tout a changé… L’agriculture intensive, l’industrie agroalimentaire et les hypermarchés ont rendu possible une société d’abondance. On pouvait enfin manger de tout. Beaucoup. Manger gras, surtout ! Le palais est flatté car les lipides favorisent l’intensité et la persistance aromatiques en bouche. Ainsi, après les privations de la guerre, nos grands-parents ont certainement été trop gourmands… Arriva donc ce qui n’était jamais arrivé : une épidémie de surpoids.
L’opinion commune a donc diabolisé le gras. Si les gens sont gras, c’est qu’ils mangent trop de gras ! Mais c’était méconnaître le métabolisme humain. Que l’énergie nous vienne de sucres, de glucides lents ou d’alcool, tout excédent sera stocké sous forme de lipide. Ainsi, quand on est gros, ce n’est pas forcément que l’on a consommé des plats trop gras ; c’est souvent que notre apport en énergie est (de beaucoup) supérieur à nos dépenses. La plupart du temps, il suffit simplement de manger moins en quantité, et faire plus d’activité physique.
D’ailleurs nous n’avons aucun problème particulier avec le gras… On estime que 35 à 40 % de nos apports énergétiques doivent provenir des lipides. Autrement dit, plus du tiers de notre assiette devrait être composée de graisses ! Et le fait est, qu’en moyenne, les Français se trouvent plutôt dans la fourchette basse. Ils pourraient donc se permettre de rajouter un peu de beurre dans les épinards.
Le charme discret de la masse grasse
Dans notre corps, le gras est stocké dans le tissu adipeux. Celui-ci a longtemps été considéré comme un simple réservoir d’énergie — réservoir indispensable à la survie de l’espèce, car il fut un temps où la chasse, comme la cueillette, étaient très irrégulières… Mais depuis une vingtaine d’années, notre regard a changé, et notre cœur s’est ouvert aux subtilités de cette matière collante et jaunâtre. Au point que le tissu adipeux est désormais vu comme un organe à part entière !
60 % de la matière sèche de notre cerveau est composée de gras.
Ses rôles sont nombreux, et pas des moindres. D’abord, il sert d’isolant thermique et protège les organes vitaux. Mais c’est aussi un organe endocrine, c’est-à-dire qu’il sécrète des hormones et des enzymes indispensables ; celles-ci régulent la satiété, le métabolisme énergétique, la vascularisation, la défense anti-oxydante, l’état inflammatoire de l’organisme, etc.
Et ce n’est pas tout. Les lipides vont jouer un rôle structurant sur certains organes, et notamment le cerveau, dont 60 % de la matière sèche est composée de gras. Il s’agit surtout des fameux oméga-6 et 3, deux lipides dont le corps a besoin mais qu’il est incapable de fabriquer tout seul : il faudra donc forcément les trouver dans votre assiette (d’autant que les oméga-6 jouent aussi un rôle important dans le processus de cicatrisation).
Bio-chimie du gras
On l’a vu : les lipides sont bons pour nous… Mais qui sont-ils ? Où courent-ils, et que veulent-ils vraiment ? D’un point de vue moléculaire, les lipides forment un ensemble très hétérogène. On y trouve des vitamines, des stéroïdes, mais surtout, les fameux acides gras, que nous connaissons sous trois formes :
(1) Les acides gras saturés (mais saturés en quoi, pardi ? Saturés en hydrogène, voyons) : présents dans l’huile de palme, l’huile de coco, les graisses animales, le beurre…
(2) Les acides gras mono-insaturés : présent dans l’huile d’olive, les noix…
(3) Et enfin, les acides gras poly-insaturés : les fameux oméga-6 et 3.
Les premiers sont présents dans les huiles végétales et dans les œufs ; les seconds, dans les poissons gras.
Dit comme ça, forcément, ça paraît super technique. Et pourtant. L’idée derrière est archi-simple : tout est question de souplesse.
Les molécules du groupe (1) sont moins souples que celles du groupe (2) qui sont moins souples celles du groupe (3). Et plus l’acide est souple, plus son point de fusion est bas. Ainsi, le gras du jambon est solide à température ambiante (car il est riche en acide gras saturés), tandis que les sardines ondulent en toute nonchalance dans la mer froide (c’est pourquoi elles sont riches en oméga-3).
Bon. Maintenant, nous savons qu’il y a du gras souple et du gras pas souple. Mais lequel est bon, et lequel est mauvais ? Disons le tout net : le mauvais gras, ça n’existe pas ! Tous les lipides ont une fonction. Même le cholestérol, qui est impliqué dans la reproduction, dans la digestion, et dont l’apport alimentaire est de toute façon négligeable (¾ du cholestérol est endogène, c’est-à-dire, sécrété par notre organisme lui-même)…
Et les fameux acides gras trans, qui sont une variante des molécules (1) et (2) ? Ils sont dits dangereux. L’OMS veut carrément interdire… Pourtant, deux remarques s’imposent. D’abord, un organisme comme l’OMS parle pour le monde entier. Il se trouve que beaucoup de pays ont encore un problème avec les gras trans. C’est notamment le cas en Amérique du Nord. En France, les pâtes feuilletées et gâteaux industriels en contiennent … Ensuite, seuls les gras trans d’origine industrielle posent problème. Quand ils sont naturels, ils ne semblent pas dangereux. Par exemple, le corps de la vache en fabrique en permanence ; c’est pourquoi les gras trans se retrouvent dans la viande, le lait, le fromage… sans effets délétères pour autant !
Restez cool et mangez une sardine
Maintenant, vous savez tout. Mais ne vous lancez pas dans des comptes d’apothicaire pour équilibrer vos apports en gras ! Ce serait risquer l’orthorexie. Suivons plutôt la sagesse de nos grands-mères. L’important, c’est de ne pas trop s’en faire ; manger de bonnes choses, diversifiées, en quantité raisonnable, et bien sûr, d’éviter les produits ultra-transformés.
Surtout, les Français sont globalement carencés en oméga-3. Ils pourraient se permettre d’en consommer deux fois plus ! L’affaire n’est pas triviale puisque les carences en oméga-3 sont suspectées d’avoir une forte incidence sur la dépression et sur plusieurs maladies neurodégénératives. Alors le plus facile, pour s’en prémunir, c’est encore de manger du maquereau, du saumon ou des sardines en boîte.
On vous l’avait bien dit : le gras, c’est la vie.
Merci La Ruche Qui dit Oui pour cet article.
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